Belo Monte : les tribus font toujours barrage

Johanna Samiotakis
3 Septembre 2013


Au Brésil, les peuples amazones sont aujourd'hui menacés par le projet du Belo Monte, immense barrage prévu sur le fleuve Rio Xingu (État du Pará). Loin d’être récent, le Belo Monte suscite encore et toujours de vives contestations tant au Brésil que sur la scène internationale. Analyse.


Crédit Photo -- Yuri Kozyrev/NOOR
Celui que Le Monde appelle « le Barrage géant de la discorde », suscite des avis contrastés depuis maintenant plus de trente ans. D’un côté, le Brésil, membre remarqué des BRICS, cherche à se moderniser et s’assurer une indépendance énergétique face à ses besoins grandissants. La construction du barrage, proposée par le Programme d’Accélération de la Croissance, permettrait d’asseoir un pouvoir international en termes de modernisation et en cas de succès, servirait d’exemple de développement possible aux autres membres du BRICS, ainsi qu’au reste du monde.

De l’autre côté, les enjeux humains et socioculturels sont plus que préoccupants : la « meilleure » conséquence du Belo Monte serait le délogement de milliers de personnes, la pire serait la disparition totale des tribus amazones, et avec elles, la perte de la culture et des traditions tribales. D’un point de vue environnemental, le projet cautionne la fin de la biodiversité locale, la déforestation des zones concernées et l’habituel risque d’inondations. Il n’existe à ce jour pas de sérieux rapport visant à évaluer les réels impacts sociodémographiques et environnementaux du projet.

Piqûre de rappel

A la fin des années 1980, le Brésil, victime d’une succession de crises économiques et ralenti par un long retour à la démocratie, propose la construction d’un barrage hydraulique sur le Rio Xingu. Point central de sa politique de modernisation et de développement, ce dernier doit assurer l’approvisionnement en électricité d’un tiers du pays et la relance de l’économie locale. A l’époque déjà, les autorités brésiliennes doivent abandonner le projet face aux protestations unanimes des tribus amazones, de l’Eglise et de la communauté internationale.

En 2000, l’hypothèse d’un barrage sur le Rio Xingu revoit le jour sous la forme du « projet Belo Monte » tel qu’on le connaît aujourd’hui. La structure à 13 milliards de dollars, supposée couvrir une superficie d’environ 500 km², menace d’engloutir la forêt amazonienne environnante ainsi que ses tribus. Ses opposants sont nombreux et n’ont cessé de ralentir ses avancées depuis son lancement. Belo Monte est sans doute l’un des plus grands défis que s’est jamais donné la sixième puissance économique mondiale, ce qui accroît inexorablement les tensions entre les deux partis, qui campent fermement sur leur position.

Une opposition internationale

Figure emblématique du combat amazone, le Cacique Raoni - chef de la tribu Kayapo, tribu la plus menacée par le projet - a progressivement ramené à sa cause de nombreux actants tel que le chanteur Sting (The Police), l’acteur Vincent Cassel et certains pays dont la France fait partie. En faisant respectivement leur rencontre en 1989, en 2010 et en 2012, le chef indien a obtenu le soutien présidentiel de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande.

La lutte contre Belo Monte s’est désormais répandu sur Internet et a donné naissance à une communauté internationale, qui souhaite médiatiser et dénoncer le projet. Le site Raoni.com, créé en 2010, est un véritable QG virtuel des militants franco-brésiliens, avec d’une part, Planète Amazone – une ONG française qui lutte pour la sauvegarde de l’Amazonie sous toutes ses formes – et de l’autre, l’Instituto Raoni – une ONG brésilienne gérée par les tribus amazones elles-mêmes. Les internautes peuvent y trouver la pétition officielle contre la construction du barrage mais aussi et surtout les différentes manifestations de l’opposition (campagne « Urgence Amazonie » depuis novembre 2012, rendez-vous médiatiques lors de sommets internationaux, etc.).

Réalisant quel support médiatique important faisait Facebook, les internautes militants de Planète Amazone ont aussi créé la version plus « moderne » du site Raoni.com début 2012 et ainsi ralliés à leur cause plus de 56 000 personnes sur la page francophone. Les messages se font majoritairement à partir de vidéos et photos clés (vidéo-messages du Cacique Raoni, rencontre avec le Président français, mode de vie des tribus, marches contestataires…).

Les tribus amazones ont ensuite pu voir un soutien grandissant se créer sur Internet. Le site Avaaz.org propose une seconde pétition, cette fois véritablement internationale grâce à la traduction du site disponible en 14 langues. De nombreux blogs sur Mediapart.fr ou Agoravox.fr – « le média citoyen » - dénoncent la suprématie de l’aspect économique sur l’aspect humain du projet.

Un avenir indécis

Pourtant décriée par la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH), l’Organisation International du Travail (OIT), l’ONU et la Cour Suprême du Brésil comme étant anticonstitutionnelle et contraire à la Déclaration des Droits des Peuples autochtones, la construction a repris en août 2012 sur ordre des autorités brésiliennes. Le gouvernement avait alors promis l’investissement de 1,2 milliard de dollars d’ici la fin des travaux pour réduire les possibles impacts négatifs de la construction.

Le combat du chef Raoni n’est cependant pas quelque caprice d’enfant qu’une flopée de dollars pourrait calmer, mais bien une lutte réelle pour la survie de milliers de personnes et la sauvegarde d’un territoire qui leur est cher. Dans un débat radiophonique diffusé en décembre 2012 sur France Culture, les amazones expliquaient leur rapport au fleuve qu’ils voient comme berceau de vie et leur aversion pour le barrage qui symbolise littéralement et métaphoriquement leur mort. L’évêque de la région de Xingu, Erwin Krautler, Prix Nobel Alternatif de la Paix y dénonçait le non-respect flagrant de la Constitution brésilienne.

Depuis, les tribus amazones ont multiplié les interventions médiatiques et sur le chantier même de Belo Monte, comme en témoigne la photo ci-dessus; mais la situation semble comme engorgée et la cause perdue… A suivre.